Agnesfl 18/05/2024 @ 13:30:45
Il est trois heures du matin, je suis chez mes cousins et je n’arrive pas à dormir. Et dans ces cas là quand je suis trop sur les nerfs, il m’arrive souvent de faire du vélo pour chasser toutes les idées négatives qui m’envahissent l’esprit. Et j’en ai encore parfois. Or là je ne peux pas me défouler, car n’étant pas chez moi, cela ne fait pas partie de la bienséance ni des règles d’usage que de pédaler au milieu de la nuit. Quant à aller courir, j’y ai pensé. Mais figure toi que c’est près de l’endroit où deux filles ont été assassinées par un violeur en série. Et celui-ci fait la une des journaux depuis plus d’une semaine. Il faut avouer que c’est un personnage si passionnant que la presse a raison de lui accorder tant de crédit. Bref mieux vaut s’abstenir de tout commentaire. En tout cas ce qui est sûr c’est que je n’arrive pas à dormir et que je ne sais comment faire pour me débarrasser de ce cerveau bouillant où les idées destructrices fourmillent. Or je n’ai aucune envie de prendre ces saloperies de somnifères; ça ronge le cerveau. Et soudain je me mets à penser à l’intense correspondance d’August Strindberg et je me dis pourquoi pas t’écrire. J’aurais adoré correspondre ainsi mais malheureusement je n’ai jamais trouvé de répondant. Ce n’est pas grave tu es là et j’ai déjà parcouru une bonne partie de ton livre. Et cette lecture me donne envie de me confier à toi. Par moment j’en ai gros sur le coeur et certains mots me font du bien. J’ai toujours adoré les mots, ils ont un grand pouvoir sur moi. Ce que tu dis sur la peur me plaît. Elle est inutile et les champions ne craignent rien. Et ça fait du bien, ça dope. Mais ça me rappelle les fois où j’ai eu peur justement, et où j’ai joué petit bras. C’est horrible comme sensation, on a le bras qui tremble et on n’ose plus frapper. C’est ça qui fait la différence. Les plus grandes joueuses savent maîtriser leurs nerfs et dominer cette peur. Toi, tu fais partie d cette race là, moi pas. Moi, ce qui me libère de ma peur c’est d’écrire et c’est là que je pratique le meilleur tennis de ma vie, le tennis intellectuel.
Je suis en train de penser à tous ces hommes qui ont traversé ma vie et qui m’ont fait tant de mal. Et il y en a beaucoup. Et je te comprends lorsque tu évoques ta première expérience amoureuse, ce Monsieur Untel que tu ne veux pas citer. Et tu as raison, cent fois raison, ce serait vraiment leur faire trop d’honneur à ces vauriens. Tu as aussi raison c’est dégueulasse ce qu’il t’a fait et l’ingratitude est très difficile à supporter. Mais je t’admire t’avoir su dépasser tout ça. Ta rage a été la plus forte et t’a permis de gagner quatre grands chelems. J’aimerais bien que ma rage à moi soit aussi profitable et me permette d’écrire quatre best-sellers!…
Ton histoire n’a rien à voir avec la mienne, et tu as pu revoir cet homme. Et tu t’es rendue compte que finalement il n’était pas si méchant que ça. Moi c’est tout le contraire. Je voulais renouer avec eux mais ils ont fui. Ils ne m’ont pas permis d’oublier le passé. Mais Messieurs vous ne m’avez pas eu, et je reviens la tête haute. Je suis récompensé car j’ai trouvé l’homme de ma vie et ma fille est un. Petit bijou de joliesse, de gentillesse, de sensibilité et de vivacité d’esprit. Je suis fière d’elle car elle n’a pas flanché et je lui tire mon chapeau.
Maintenant, c’est à moi de t’écouter. La mort de ta soeur a été terrible pour toi, et tu n’as plus été capable de jouer au tennis. Tu as du en baver entre ce décès et cette perte d’envie de jouer au tennis. Le terrible vide a du te ronger pendant un bon moment, mais comme tu es une championne tu as pu rebondir. Moi, c’est le contraire. C’est parce que j’avais arrêté le tennis que j’ai vécu le trou noir après la mort de mon bébé. Il me manquait les endorphines pour remonter petit à petit la pente. Comme quoi même entre deux joueuses, la vision du tennis peut varier. Après je me suis remise au jogging, pour essayer de lutter contre tout ce que je subissais. Et grâce à cette dépense physique, j’ai repris goût à la vie….
Un point commun entre nous c’est le fait que si tu n’avais pas joué au tennis, tu aurais aimé être actrice. Moi aussi quelque part. J’ai juste pris quelques cours, mais j’ai réalisé la similitude entre les deux. En tant que joueuse j’avais besoin de me préparer psychologiquement pour mon match, et en tant que comédienne si je puis utiliser ce mot là, j’avais aussi besoin qu’on me laisse seule afin que le personnage que j’interprète m’habite naturellement. Pour moi, c’est le même stress, mais en revanche au tennis je ne pensais pas tellement au public alors qu’au théâtre si au moins au début. En fait, les deux disciplines sont complémentaires, et c’est très bien de faire les deux. Lorsque je jouais au tennis, j’ai vécu des états seconds extraordinaires et je sais qu »au théâtre quand on est à fond dans un rôle c’est la même chose. Je le devine et les comédiens me l’ont confirmé. J’aimerais d’ailleurs ressentir un jour cet état second sur scène. Ce qui est similaire aussi c’est le fait de dépasser la douleur. Dans le sport, on arrive à l’oublier quitte à la retrouver dès que la compétition est finie. Au théâtre on peut paraît-il avoir 40 de fièvre et jouer sans en ressentir les effets. Et après les ressentir fortement. Je dois dire que le peu de théâtre que j’ai fait m’a donné la même impression que le tennis à savoir une remise en question de soi à chaque fois. Je n’étais jamais la même sur scène, et jamais non plus la même sur un court. Ca dépendait si j’avais bien dormi, si j’étais de bonne ou mauvaise humeur, si j’avais des problèmes, si tout allait bien dans ma vie. Et puis ça dépendait de mon partenaire avec une adaptation en fonction de sa personnalité. Au tennis, je ne jouais pas non plus de la même façon si mon adversaire était une attaquante ou si au contraire elle renvoyait. Avant mes cours, je me demandais toujours si j’allais être bonne ou pas et au tennis aussi. Il arrivait d’ ailleurs que je me sente en pleine forme avant et finalement de mal jouer. Et inversement. Au théâtre ça doit être pareil. Ce qui m’a handicapé dans le tennis, c’est mon manque de confiance en moi et le doute permanent qui m’a envahie. Il faudrait que j’arrive à ne pas me poser trop de questions, et mon jeu devrait être surtout instinctif. Sinon je perds mes moyens comme cela a été le cas au tennis. Et j’ai constaté la même chose au théâtre. J’étais bien meilleure si je ne me posais pas de questions et si c’était l’instinct qui dominait.
Je connais moins les sensations que procure un sport collectif, même si j’ai fait des matches par équipe. Mais il ,existe forcement des similitudes entre sport et théâtre. Par exemple, se retrouver à jouer dans une troupe de théâtre et jouer au football dans une équipe. Le plaisir de partager une belle victoire sportive ou de partager une pièce à succès. Ou au contraire de vivre ensemble un échec.
Tu dis aussi ne pas croire au hasard, moi non plus. Je pense que tu étais programmée pour gagner quatre grands chelems et moi pour devenir écrivain. J’ai d’ailleurs eu un flash à 14 ans. Alors que je lisais Anatole France chez des amis quelqu’un m’a dit que je serai écrivain. Yannick Noah avec qui j’ai discuté m’a dit aussi qu’il pensait avoir été programmé pour cela. Sans compter son expérience avec son père. As-tu eu des rêves prémonitoires concernant le tennis? Nathalie Tauziat m’a affirmée en avoir eu. Quant à moi, il m’est arrivé des choses bizarres. Une fois alors que je me promenais en jogging, une tache de sang est apparue sur mon pantalon et a disparu peu de temps près. Une autre fois, j’ai interviewé un écrivain et après l’entretien ma jupe avait du sang. Bizarre tu ne trouves pas? En tout cas, j’ai bien l’intention d’écrire un livre sur tout ça.
Tu as été au Kenya et tu as mangé du crocodile et de l’autruche. Quel goût ça? Remarque il y a bien des pays en Amérique latine où l’on mange des insectes. Ce qui m’intrigue c’est que tu sois témoin de Jéhovah. En effet, j’ai rencontré un couple qui a été complètement détruit par ce mouvement et pour moi c’est un mouvement dangereux. J’ai la lettre d’une de leurs filles, et elle est plutôt significative. Mais bon on en reparlera si tu veux. L’argent semble passer après la victoire pour toi puisque tu affirmes qu’il arrive que l’on soit obligé de t’envoyer le chèque. Moi aussi je suis capable d’écrire des pages sans rien toucher. Et quand un beau chèque arrive il faut avouer que ça fait bien plaisir quand même. C’est d’ailleurs une question que je me suis toujours posée. Quel pourcentage a l’importance de l’argent dans la carrière d’une joueuse ? Tant de questions restées en suspens, il faudra y remédier.
Tu éprouves le besoin de te sentir belle pour jouer au tennis. Je te comprends. Quand on se trouve moche, ce qui peut arriver à tout le monde ce n’est pas très stimulant. On n’a pas envie de renverser des montagnes comme quand on se sent belle. Je ne sais pas comment ça se passe pour toi. Mais si on me dit que je n’ai pas de beaux cheveux, que mon nez n’est pas harmonieux, que j’ai mauvaise mine, ce n’est pas très revigorant. Surtout pour quelqu’un comme moi qui a tendance à douter. Mais bon trop de confiance ce n’est pas bon non plus car on se relâche. A ce propos, il y a une chose que j’aimerais savoir si ce n’est pas trop indiscret c’est ce qui concerne ta vie sexuelle. Je ne te demande pas d’en dire beaucoup car je respecte ton intimité. Je voudrais juste savoir si tu as des rapports avant de jouer. Et les règles est-ce qu’elles te perturbent lors d’une compétition? As-tu parfois des propositions de lesbiennes? Cela m’est arrivée au moment où l’homosexualité commençait à envahir le circuit. Je suis tout sauf homosexuelle et l’idée d’embrasser une fille ne m’attire pas du tout. Mais en revanche, je me suis toujours demandée ce qu pouvait ressentir un homme en touchant une poitrine. Et j’aurais aimé être un homme pour le savoir. De même que je voudrais savoir si la jouissance clitoridienne ressemble à celle de la jouissance masculine. Il faudrait engager un débat là-dessus. Mais rassure toi je ne te ferai pas de proposition, j’aime trop les hommes pour tomber là-dedans.
Je comprends ta révolte en ce qui concerne la presse. La preuve, ils ont osé te traiter de grosse vache. J’avoue que ça ne doit pas faire plaisir. Ils sont tellement méchants et souvent ils n’y connaissent rien au tennis. Et puis soit ils disent tous le même chose, soit ils piquent les idées.
Quant à la pression des médias ça doit être très dur à vivre. ? C’est assez incroyable celui qui t’a menacé d’annuler ton contrat si tu jouais mal. Je comprends que certains aient du mal à résister à la tentation du dopage. D’ailleurs, André Agassi dans son livre ne fait que confirmer ce qui st sous-jacent. On n’est pas dupes. Et moi, je le trouve très courageux d’avoir lancé ce sujet qui est plutôt grave vu les dégâts que ça peut causer sur la santé. Quant à sa perruque je m’en contrefiche. Il pourrait ne pas mettre de slip que ça me ferait ni chaud ni froid. Passons maintenant aux matches arrangés. On en a parlé récemment. Cela doit être la même chose dans le tennis. Qui sait?
Voilà je crois avoir à peu près tout dit. Je voulais te dire que c’est bien de penser à ton pays et à ce qu’il a subi. Tu l’exprimes en disant qu’il n’y a rien de plus difficile, rien. «  Lèves-toi dis-tu et remplis la fierté le coeur de tes ancêtres ». Quant au racisme ce n’est pas beau, tu as raison. En ce qui me concerne, j’ai envie de parler du camp de Dachau. Sur place, je me suis sentie tellement mal que je n’ai pas pu aller jusqu’au bout.
Je t’en ai dit ds choses, je ne sais pas pourquoi en fait. Sans doute parce que j’avais besoin d’être comprise. Quand je ne me sens pas bien, je me réfugie dans les livre, et ça me réconforte. Quand je discute avec des écrivains qui pensent comme moi, ça me fait chaud au coeur. Et là c’était toi. Je te laisse et peut-être aurons-nous l’occasion de nous rencontrer. Au fait, ton journal tu me l’enverras?…

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